L’équipe émergente ERALO fonde ses recherches autour de quatre thèmes fédérateurs.
Il s’agit de décrire les phénomènes linguistiques et les spécificités des langues kanak dans le but de comprendre le fonctionnement de ces langues, dont beaucoup sont aujourd’hui encore peu dotées en termes de description/documentation linguistique et pour lesquelles l’urgence face à la menace de disparition à plus ou moins long terme est réelle.
Dans une perspective plus large, la description de ces langues vise à participer au courant de la linguistique typologique et comparative en alimentant les connaissances scientifiques sur les langues océaniennes. Ainsi, les langues sont étudiées au prisme de leurs diversités et de leurs dynamismes, que ce soit en diachronie (phénomènes d’obsolescence versus de résilience ; innovations et évolutions) aussi bien qu’en synchronie (description des idiosyncrasies ; changements linguistiques induits par le contact ; hybridations et langues de contact ; variations dialectales).
Par ailleurs, l’accent est mis sur la documentation multiformat et multimodale des langues kanak et océaniennes en privilégiant un travail inter/pluridisciplinaire et interprofessionnel (enseignants, chercheurs, pédagogues, artistes). Les productions visées sont notamment : des dictionnaires plurilingues, des didacticiels, des grammaires contextualisées, des atlas interactifs, des bases de données en ligne, des outils pédagogiques innovants, des approches artistiques (vidéos, photos, graphisme, chansons, musiques). Une politique de gratuité et d’accessibilité en ligne de ces ressources est également privilégiée.
Dès lors où il y a description se posent des questions sociolinguistiques quant aux rapports sociaux aux normes : quelle(s) variété(s) ériger en tant que norme(s) ? Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ? Des dimensions éthiques entrent également en compte : comment hiérarchiser les pratiques langagières en prenant compte de l’historicité en arrière-plan ? Ces problématiques témoignent de nouveau de l’esprit collaboratif avec lequel les travaux de l’équipe sont envisagés.
Le concept des idéologies, au sens large, permet de souligner l’importance des rapports de domination tant sur le plan linguistique que culturel. La recherche s’établira à partir de corpus discursifs (politiques, littéraires et médiatiques), permettant d’interroger les schèmes inhérents aux discours, afin de procéder à la déconstruction des « savoirs » en circulation. Cette étape s’avère incontournable afin de comprendre et d’accompagner les dynamiques et les pratiques sociétales (notamment linguistiques) en Océanie.
Les idéologies sont abordées comme outils conceptuels pour l’analyse des rapports sociaux aux langues et aux espaces, y compris urbains. Comprises en tant qu’ensemble de constructions sociales, elles sont élevées – par les sociétés qui les convoquent – au rang de « réalité(s) » fondatrice(s). En tant que telles, elles sont révélatrices de mises en altérité, de frontières symboliques entre soi et l’autre, de croyances partagées mais aussi de rouages politiques d’une société. De ce fait, les idéologies constituent des moyens de compréhension des phénomènes sociaux, comme les processus d’appartenances par exemple, mais elles permettent aussi de déconstruire les « réalités » sociales. Par l’analyse de ces idéologies, l’équipe ERALO s’attachera à comprendre les fonctions sociales des langues et des mobilités spatiales en contexte océanien.
En tant qu’objet de recherche, la création artistique reflète le travail de description et de compréhension :
Les créations artistiques et littéraires servent aussi d’outils de valorisation des dynamiques plurielles en Océanie. Plus encore, cette thématique fait référence à des démarches de recherches réflexives où la médiation artistique permet aux acteurs sociaux minorisés et/ou en insécurité linguistique de mettre en récit leurs expériences sans être contraints par les normes du langage articulé écrit. En didactique des langues, cette optique fait d’ailleurs des créations artistiques visuelles ou musicales, une passerelle stratégique pour aller vers d’autres langues, d’autres cultures, d’autres espaces.
Enfin, dès lors que le chercheur s’autorise à s’affranchir de l’écriture scientifique (vue ici comme mode de communication dont la codification exclut d’emblée les non-initiés), la médiation artistique devient un substitut riche en potentialités notamment pour valoriser, de-stigmatiser ou encore pour mettre en forme une pensée critique.
Le concept de mobilités permet de souligner le caractère éminemment dynamique des sociétés océaniennes : les phénomènes de (multi)appartenances, de réseaux et de contacts entre langues, de groupes et idées.
Des chemins d’étoiles polynésiens aux chemins kanak ou encore à ceux de la kula ou de la moka en Papouasie, l’Océanie est tout entière faite de voyages, de contacts et d’échanges entre des îles et des hommes, des gens de terre et des gens de mer, autochtones et allochtones, sous différentes modalités et selon différents vecteurs (produits agricoles, de la chasse ou de la pêche, techniques, musiques, etc.) entre les langues et les idéologies qu’elles véhiculent.
À ce titre, les mobilités spatiales représentent une constante historique des sociétés océaniennes favorisant la mise en réseaux. Les mobilités ont aussi, paradoxalement, conditionné l’appropriation des lieux et des territoires autant qu’elles ont teinté les langues d’emprunts lexicaux, de sons et de structures grammaticales.
Les mobilités contemporaines s’inscrivent donc dans des pratiques classiques tout en se réalisant selon des itinéraires souvent nouveaux, selon des modalités, des temporalités et des motifs différents. Le rapport entre l’ancrage et la mobilité, « l’arbre et la pirogue » disait Joël Bonnemaison, au lieu de se clarifier avec les circulations contemporaines, se complexifie nettement au point que la mobilité peut constituer une manière alternative de s’identifier à un territoire. De ce point de vue, les phénomènes diasporiques paraissent particulièrement importants en Océanie où les «communautés», notamment dans les villes, se sont multipliées, qu’il s’agisse des Samoans à Auckland, des Fidjiens de Sydney ou Brisbane, des Micronésiens à Guam, des Wallisiens et Futuniens ou des Loyaltiens à Nouméa ou encore des Rapas (archipel des Australes en Polynésie française) à Papeete.
Il s’agit pour l’équipe émergente ERALO d’explorer les mobilités dans leurs différentes dimensions individuelles, biographiques, groupales et linguistiques. Le concept renvoie aussi à la circulation des idées, des mots et plus largement des différents éléments susceptibles d’éclairer les logiques réticulaires si constitutives des sociétés océaniennes.